Les Opérations Dignité 


Par Jean-Julien Levesque, Marie-Claude Joannis et Cinthia Sweeney

En 1969, le gouvernement provincial annonce la fermeture de 96 villages du Bas-St-Laurent et de la Gaspésie.


 

"Opération dignité, un des plus grand mouvement de résistance populaire de l'histoire du Québec rural "

- Guy Gendron, Radio-Canada

 


 

Contexte historique:

Un plan d'aménagement de la Gaspésie et du Bas-St-Laurent.

 

Le peuplement et l'occupation du territoire de l’arrière-pays de la Gaspésie et du Bas-St-Laurent s’est fait durant la crise des années 1930. Le gouvernement avait rendu des terres accessibles à la population québécoise pour qu'ils puissent travailler et subvenir à leurs besoins par l’agriculture. Mais, comme le mentionnait monsieur Robin D’Anjou, ce n’était pas des terres cultivables,

 

« C’était carrément des terres de roches ».

Robin D'Anjou, Agent de relocalisation de 1970 à 1972

 


Les conditions de vie pour ces familles étaient donc très difficiles. Les Opérations Dignité ont été mises en place après l’élaboration d'un plan d’aménagement du territoire, un projet mis en place par le Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ), commandé par le gouvernement provincial. Le BAEQ visait l’amélioration des conditions de vie de 325 000 habitants des régions dévitalisées. D’abord, l'organisme para-gouvernemental avait prévu l’augmentation du nombre d’emplois. Pour ce faire, il avait comme projet de moderniser les secteurs traditionnels de l’économie régionale, soit l’agriculture, l’exploitation forestière et la pêche. Ensuite, il voulait encourager l’implantation d’une activité économique dynamique. Cela impliquait l’augmentation du nombre d’usines de transformation de la matière première (poisson, bois, lait, etc.). En outre, ce projet prévoyait faire des centres régionaux (Matane, Rimouski et Rivière-du-Loup) les principaux centres de développement industriel. Pour favoriser une activité économique dynamique, on comptait aussi stimuler le tourisme dans certaines municipalités : Percé, Carleton, Mont-St-Pierre et Chandler. Le BAEQ avait aussi prévu l’aménagement du parc national de Forillon, du parc de la Gaspésie et du parc du Bic. Finalement, il projetait d'ensemencer certaines rivières à saumons. Ensuite, le BAEQ planifiait valoriser la main d’œuvre et d’augmenter son niveau de qualification.

 

Au final, on retiendra peu de chose de ce plan d’aménagement. L’un des rares éléments dont on se souvient, c’est la restructuration rationnelle du territoire régional. Monsieur George-Henri Dubé, président du BAEQ de l’époque, déplore que le projet ait été mal accueilli par la population. 

 

« Le BAEQ, il a fait un plan. Mais le gouvernement qui l’a reçu, lui, qu’est-ce qu’il a fait avec? »

George-Henri Dubé, Président du BAEQ

 

Il déplore aussi que, sur les 230 recommandations, on se souvienne du BAEQ que de la délocalisation des habitants des paroisses marginales. Il ajoute que pour fermer un village, il fallait que 80 % de la population ait voté. Donc, dans les 11 premières fermetures, ce taux a été atteint puisque le résultat du vote a été la relocalisation de ces populations. Cependant, certains habitants se sont sentis manipulés et ils ont cru qu’on les a incités à voter pour le déménagement. 

 

« On a voté avant de savoir comment est-ce qu’on aurait pour notre propriété. Parce que si on avait su le montant avant, probablement qu’il n’y aurait pas eu 90% (des gens qui ont voté) [...]  on m’a même poussé pour voter parce que deux jours avant le vote, on était deux-trois qui voulait pas voter [...] à force de me laisser faire, j’ai voté... j’ai voté pour. »

Aurèle Fraser, Habitant de Saint-Octave-de-L'avenir

 

Selon monsieur Robin d’Anjou, agent de relocalisation à l’époque, les gens pouvaient recevoir entre huit à dix mille dollars. 

 

« Moi la façon j’ai vu ça, ils en ont satisfait une gang, pis met que ça soit le temps de voter pis de lever la main, lever la main. [...]  La minorité, on avait pas le choix, fallait s’attacher les mains, allons nous-en. »

Jocelyn Fraser, a quitté Saint-Octave-de-L'avenir à 20 ans

 


Élément déclencheur:

La fermeture drastique de 11 villages de l'arrière-pays.

 

Un des projets du BAEQ était la fermeture de villages marginaux et dévitalisés. C’est ainsi qu’en 1969, l’organisme ferme 11 communautés :  Saint-Thomas de Cherbourg, Saint-Paulin Dalibaire, Rang IV-Les Méchins, Saint-Octave de l’Avenir, Sacré-Coeur des Landes, Sainte-Bernadette de Pelligrin, Saint-Charles Garnier de Pabos, Saint-Edmond de Pabos, Saint-Gabriel de Rameau, Saint-Jean de Brébeuf et Saint-Nil. Environ 400 familles se sont retrouvées, du jour au lendemain, chômeurs ou assistés sociaux et relocalisées dans des loyers à prix modique (HLM) des centres régionaux. Pour s’assurer qu’ils ne retournent pas sur leurs terres, leurs maisons ont été brûlées. Monsieur Gilles Roy, curé et « leader » d'Opération Dignité III dit, à ce sujet :« j'ai vu aussi les maisons brûlées et les solages rasés. Et des gens atterrés de voir disparaître ce qu'ils avaient construit de leurs mains depuis les années trente. » Il mentionne également que quand le gouvernement déclarait un village « économiquement non rentable et socialement non viable », c’était la fin assurée pour cette localité. 

 

Les fermetures faites par le BAEQ n’étaient qu’un projet pilote. En 1970, le rapport MÉTRA, commandé par le gouvernement du Québec, affirme que la solution aux problèmes économiques reposait sur la fermeture de 96 paroisses, dont 15 territoires non organisés. Ces communautés, du Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, regroupaient environ 64 400 personnes.

 

La fermeture des 11 premières communautés et l’annonce qu’il y aura d’autres villages qui seront rayés de la carte ont été la bougie d’allumage d’un grand mouvement social identitaire : les Opérations Dignité. Les réactions provenaient des gens qui étaient relocalisés contre leur volonté, mais aussi des habitants des régions avoisinantes. C’est donc massivement que les habitants du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie se sont levés et ont exprimé leur désaccord.

 


Début du mouvement:

Opération Dignité I à Sainte-Paule.

 

La première Opération Dignité s’est déroulée à Sainte-Paule. Le 22 septembre 1970, pas moins de 3000 personnes se sont rassemblées pour assister à l’assemblée organisée dans cette municipalité. Le 27 septembre 1970, les curés de trois villages (Gilles Roy, Charles Banville et Jean-Marc Gendron) ont présenté le Manifeste des curés en colère. Cet ouvrage, qui a bénéficié d’une grande visibilité médiatique, a permis au mouvement de gagner en crédibilité et ainsi, de se mettre en branle.

 

Mise en place des Opérations Dignité

 

Le mouvement a pris de l’ampleur au même rythme que montait l’indignation des citoyens des villages de l’est de Québec. Un des moments forts a été l’appui public aux Opérations Dignité de monsieur Pierre de Bané, député fédéral de Matane et secrétaire de Pierre-Élliot Trudeau. C’était la première fois qu’un député fédéral appuyait un mouvement citoyen rural. De fait, les villageois ont vu en lui un sauveur, car ils croyaient que sa position politique lui permettrait d’influencer le gouvernement provincial à leur avantage. Cependant, ce sont les curés des paroisses mobilisées qui ont été les véritables « leaders » des différentes Opérations Dignité. Charles Banville a lancé Opération Dignité I à Sainte-Paule, Jean-Marc Gendron a dirigé la deuxième Opération Dignité à Esprit-Saint et Gilles Roy a été le meneur d’Opération Dignité III à Les Méchins.

 

Ce sont les citoyens de ces régions qui ont désigné leurs « leaders ». Ils ont demandé à ces curés d’être la figure de proue de leur mouvement parce que l’identification à l’église, surtout dans les petits villages, était encore centrale à l’époque. À ce sujet, monsieur Charles Banville notait dans le reportage de Tout le monde en parlait que : « les petits gens n’avaient pas de voix. Alors, ils m’ont demandé de prendre la tête d’un mouvement ».

 

L’idée de prénommer ce mouvement identitaire « Opérations Dignité » est venu spontanément aux leaders. Pierre de Bané, dans le reportage Tout le monde en parlait, rapporte les propos qu’il a tenus au moment de choisir ce nom historique :

 

« J’ai pris la parole et j’ai dit : “là Monsieur l’abbé, ce qu’il faut, c’est un nom très court, qui frappe, qui accroche et qui claque. Je proposerais Opérations Dignité” »,

Pierre de Bané, député fédéral de Matane et secrétaire de Pierre-Élliot Trudeau

 

 

L’appui a été unanime.


 

Contexte favorable

 

Le contexte historique et social, dans lequel s’est inscrit le mouvement Opérations Dignité, a joué en faveur des acteurs qui prenaient part à ce mouvement. C’était une période très mouvementée sur le plan politique au Québec. Tout d’abord, les premières actions qui ont été posées par Opérations Dignité I se sont déroulées en même temps que la crise d’octobre 1970. Aussi, durant le même mois, les médecins spécialistes du Québec étaient en grève générale pour manifester leur désaccord contre la loi 8. Ce projet de loi, inclus dans la Commission Castonguay-Nepveu, modifiait les actes réservés aux médecins spécialistes. 

 

En somme, le Québec était plongé dans une crise majeure et cela a donné du poids aux actions du mouvement des régions de l’est. Le gouvernement provincial libéral se devait de rétablir l’opinion publique en faveur de son gouvernement nouvellement élu. D’autant plus que la montée du nationalisme québécois, menée par René Lévesque, gagnait en popularité. Il s'agissait de grands dossiers à gérer pour le premier ministre libéral Robert Bourassa, en poste depuis seulement six mois. Des pressions énormes, menaçant la sécurité publique. Le gouvernement se devait de réagir à cette crise et n’a eu d’autres choix que de faire des concessions.

 

René Lévesque, 1970
René Lévesque, 1970

Source: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Gilles Langevin, 1977


Un mouvement social identitaire

 

Plusieurs poètes et chanteurs de toutes les nations tentent de définir ce qui lie une communauté et en fait son identité propre.


« L’identité est le caractère permanent et fondamental de quelqu'un, d'un groupe ». 

Dictionnaire Larousse, 2010

Il est possible de constater que, à travers plusieurs événements tragiques de l’histoire de l’humanité, la déportation des peuples a plusieurs conséquences identitaires dramatiques. Le peuple haïtien, descendant d’esclaves africains importés en Amérique centrale, en est un bon exemple. Également, au Canada, nous sommes à même de constater l’ampleur du désarroi personnel et social dans lequel est plongé le peuple autochtone qu’on a confiné dans des réserves amérindiennes.

 

« On a rien à perdre, on a rien » 

 Habitants de Sainte-Irène en 1970

 

C’est sans doute le fait d’être brimé aussi profondément dans leur identité commune qui a poussé les habitants des villages menacés de fermeture à se lever ensemble. C’était en quelque sorte un cri du coeur, une nécessité pour la dignité collective d'être partie prenante d’un mouvement social de défense de leur territoire et de leur essence propre. Les Opérations Dignité ont été extrêmement rassembleuse parce que c’était une démarche fondamentale, voire vitale de faire reconnaitre leur droit d'exister et de teinter, à leur façon, leur territoire. 



 Amartya Sen, Prix Nobel d'économie en 1998

Source: jewishbusinessnews.com

Les capabilités de Sen

 

Amartya Sen a étudié les sphères de vie fondamentales qui sont touchées lorsqu’on prive un individu de son essence, il les appelle les capabilités. Voici celles que l’on retrouvait à l’annonce de la fermeture des 96 villages de l’est du Québec :

 

La vie : « Ne pas mourir prématurément ou avant que sa vie ne soit tellement réduite qu’elle ne vaille plus la peine d’être vécue  ».

Effet de la délocalisation : déracinement, perte de dignité, pauvreté, deuil, dépression, etc.

 

La santé du corps «Être capable d’être en bonne santé; être convenablement nourri; avoir un abri décent  ».

Effet de la délocalisation : perte d’emploi, insécurité financière, stress, déménagement dans un HLM, etc.

 

L’intégrité du corps :  «Être capable de se déplacer librement de lieu en lieu...» 

Effet de la délocalisation : perte d’accès à son village, sa maison, ses terres.

 

Les sens :  «Utiliser l’imagination et la pensée et produire des œuvres et des événements en étant protégé par les garanties de la liberté d’expression (discours politiques, artistiques et liberté de culte). «Être capable d’avoir des expériences qui procurent du plaisir et d’éviter les peines inutiles  ».

Effet de la délocalisation : Déstabilisation, perte d’appartenance, perte d’identité, culture perdue (chanson, souvenirs, lieux d’appartenance), etc.

 

Les émotions :  « Être capable de s’attacher à des choses et des gens autour de nous; ne pas voir son développement contraint par la peur et l’angoisse. (...) soutenir des formes d’associations humaines »

Effet de la délocalisation : deuil, stress, anxiété, dépression, éloignement de son réseau familial et social.

 

«  La valeur sentimentale, c’est resté là, ça n’a pas été payé. »

Jocelyn Fraser, Saint-Octave

 

La raison pratique :  «Participer à une réflexion critique sur l’organisation de sa vie : possibilité d’organiser sa propre vie, donc de choisir et d’organiser les fonctionnements qui correspondent aux autres capabilités.»

Effet de la délocalisation  : déportation pas vraiment démocratique, problème d’adaptation, etc.

 

L’affiliation :  Être capable de vivre avec et pour les autres, de prendre part à différents types d’interactions sociales; avoir les bases sociales du respect de soi et de la non-humiliation; être capable d’être traité avec dignité et avoir une valeur égale à celle des autres et des dispositions pour interdire les discriminations. 

Effet de la délocalisation  : Destruction par l’état de leurs biens personnels (maison, terre…), perte de liens avec l’entourage, réorganisation de la vie sociale, droits inégaux face aux autres villages du Québec, etc.

 

« Chez nous, c’est chez nous; s’il fait bon d’y survivre, il est urgent d’y vivre »

Roméo Veilleux, cultivateur

 

Les autres espèces « Être capable de développer une attention pour et de vivre en relation avec les animaux, les plantes et le monde naturel ». 

Effet de la délocalisation  : perte du contact avec les ressources naturelles, impossibilité de s’adonner à la chasse, à l’observation des animaux, etc.

 

Le jeu :  S’adonner à des loisirs, rire, jouer… 

Effet de la délocalisation  : perdre son terrain, éloignement de la forêt, perte de loisirs territoriaux : chasse, pêche, etc.

 

Le contrôle de son environnement matériel et politique:

A) Politique : être capable de participer efficacement aux choix politiques qui gouvernent sa vie : droit de participation politique, protection du libre discours et de la libre association. 

Effet de la délocalisation :  le gouvernement consulté les villages fermés, mais on les a manipulé pour les faire signer une autorisation et acheter leurs terres à un prix ridicule avec des menaces et de fausses informations.

B) Matériel : Être capable de posséder et jouir de la propriété sur une base égalitaire avec les autres; avoir le droit de chercher un emploi sur une base égalitaire avec les autres; être protégé contre les perquisitions et les arrestations arbitraires.

Effet de la délocalisation : quitter les terres qu’elles ont défrichées et les maisons qu’elles ont construites, perdre son emploi et se retrouver sur le chômage ou l’aide sociale, se faire installer dans un HLM d’une ville inconnue, etc. 

Source: Lucie Gélineau, Vieillir dans la rue, Rapport de recherche, 2013.


Les acteurs en présence

Sources : UQAR - Archives régionales / Fonds de la Corporation d'information pop. de l'Est du Québec, Hebdos régionaux, La Presse, Archives de Radio Canada

Plus on est nombreux, plus on est fort 

Charles Banville



Populaires

  • La Population de l’est du Québec;

  • les 64 400 villageois menacés de perdre leurs maisons, leurs terres et leurs villages;

  • Gilles Roy, Charles Banville et Jean-Marc Gendron, curés de trois villages, étaient les trois premiers présidents des Opérations Dignité;

  • Marcel Belzile, Animateur (organisateur communautaire), affecté au projet de groupement forestier;

  • les propriétaires de terre à bois;

  • le conseil de participation populaire (1971).


Politiques

       Opposants

  • Gouvernement libéral provincial de Robert Bourassa en place;

  • Conseil d’orientation économique du Bas-Saint-Laurent (COEB);

  • Office de développement de l’Est-du-Québec (ODEQ);

  • Ministère des terres et des forêts

 «Le manifeste de Matane,    c’est un tissu de                  mensonges».

Dr Robert Quenneville, Ministre de l’ODEQ

 

       Alliés

  • Pierre de Bané, député fédéral de la circonscription de Matane, secrétaire de Pierre Elliot Trudeau et ministre des Approvisionnements et des Services;

  • le Parti Québécois et l’Union nationale (Partis d’opposition); 

  • les Sociétés d’exploitation des ressources (SER).

Organisationnels

       Opposants

  • Le Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ) (Étude indépendante commandée pour le gouvernement…);

  • le Conseil régional de développement (CRD) (Fausse représentativité);

  • les compagnies forestières privées déjà en place;

      Alliés

  • Le comité ad hoc relocalisation;

  • le comité permanent de l’Aménagement du territoire de l’arrière-pays (CPATAP) (1973);

  • le régime des concessions forestières;

  • l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ); 

  • les syndicats: CSN et FTQ;

  • le Fonds de recherche forestière de l’Université Laval (FRUL);

  • le clergé du Québec;

  • les conseils municipaux;




 

Les forces en présence 

- Le capitalisme comme idéologie (rendre les régions éloignées rentables);

-montée du nationalisme au Québec dirigé pas le René Lévesque et le Parti Québécois;

- crise politique majeure au Québec : Octobre 1970 (Loi des mesures de guerre);

- discordes politiques entre le gouvernement provincial et fédéral;

- mobilisation massive et sans précédent des citoyens de l’est du Québec;

- appui officiel de clergé du Québec qui a un ascendant idéologique encore très important au Québec. 

 


Les visées du mouvement 

Les objectifs d’Opérations Dignité

       

L’objectif principal des Opérations Dignité était, tout d’abord, de concevoir des projets de développement économique permettant de créer de nombreux emplois tout en tenant compte des possibilités du milieu et de la main-d’œuvre disponible. Bien que plusieurs secteurs économiques aient été explorés, l’exploitation forestière a été retenue au départ. Puis, dans Opération Dignité 3, c’est la pêche qui a été mise de l’avant. En fait, un plan d’exploitation des ressources naturelles, répondant mieux aux intérêts de la population locale, était vu comme la solution assurant aux villageois de l’arrière-pays de ne pas être relocalisés. Les Opérations Dignité avaient aussi comme objectif global la valorisation de la population des villages touchés, et celle de sa région, qui était souvent qualifiée de marginale par le gouvernement.

 

Les luttes:

  • Refus de la fermeture des villages dévitalisés de l’arrière-pays imposé par la politique de délocalisation de l’État,
  • défense des emplois de la région;
  • revendication du droit de travailler sur son territoire;
  • affirmation du désir de maintenir la vie en région;
  • revendication sur le plan de l’aménagement et l’exploitation des ressources naturelles dans les régions.

 «La survie des OD est beaucoup liée à l’élaboration de projets concrets et précis qui, en plus de coller à une réalité économique déficiente, permettra l’émergence de leaders qui se formeront dans l’action. C’est un défi d’une grande complexité qui demandera le regroupement de personnes motivées par l’idée de servir».

 

«Nous étions des consciences qui tentent de prouver aux architectes, aux contremaîtres et au président de la compagnie qu’ils ne connaissent rien à la construction» 

Charles Banville

Source : UQAR - Archives régionales / Fonds de la Corporation d'information pop. de l'Est du Québec


Actions menées par les militants

Populaires

1970

  • Opération Dignité 1 À St-Paule (32 paroisses)
  • 3000 personnes à la réunion de fondation du mouvement;
  • tournée d’information dans 12 des paroisses touchées;
  • Formation du Comité intermunicipal J.A.L. (St-Juste, Auclair et Lejeune)
  • Formation d’un conseil d’administration:  deux représentants par paroisse. La population peut assister aux rencontres;
  • présentation du Manifeste des Curés en Colère.
  • Opération Dignité 2                À Esprit Saint : (27 paroisses) 6000 citoyens présents;
  • demande d’Incorporation du conseil d’administration et rédaction de règlements généraux. Formation d’un comité exécutif de 7 membres.
  • Manifestation à la chambre des communes

1972

  • Opération Dignité 3         À Les Méchins (6paroisses) Réunion de 300 personnes, représentants toutes les municipalités;
  • signature d’une entente donnant plus de pouvoir décisionnel au conseil exécutif;
  • tenu de 14 réunions consultatives sur les territoires touchés;
  • sondage d’opinion auprès de la population menacée de fermeture;
  • dissociation avec le Conseil régional de développement  (CRD):

1973

  • Incorporation officielle du conseil d'administration avec octroi de la charte;
  • rédaction du Manifeste de Matane: Identifie les faiblesses de l’entente Canada-Québec et propose des alternatives.

Médiatiques

1970

  • Conférence de presse de dépôt du Manifeste des curés en colère:
    Caricature dans le devoir, Éditorial de la Presse, Article dans le Globe and Mail, etc.
  • Entrevues à l’émission Format 60 de Radio-Canada

 

« Pendant que le Québec vit sous la loi des mesures de Guerre et dans la vague de la Crise d’octobre, 3 curés ont réussi à attirer les projecteurs des médias des grands centres urbains sur ce qui se passait dans l’Est-du-Québec ».

Tout le monde en parlait

  • Environ 500 pages de reportages et d’articles de journaux;
  • environ 75 émissions télédiffusées et radiodiffusées (Reportage et interview)

“La presse et la télévision ont été un moyen puissant pour réaliser nos projets”

Charles Banville

1973

  • Dépôt du Manifeste de Matane. Tous les journaux de la province ont couvert l’événement.

Politiques

1970

  • Appui public de monsieur Pierre de Bané, député fédéral de Matane et secrétaire de Pierre-Élliot Trudeau.

1971

  • Rencontre, avec tous les acteurs concernés, pour débattre du plan d’aménagement;
  • le gouvernement provincial n’accorde que 400 000$ sur les 1 200 000$ demandés;
  • Rencontre de négociation avec le ministre Tessier et le ministre des Terres et forêts M. Drmmond: 800 0000$ de plus sont investis;
  • retard de paiement de l’état. Le FRUL fait un emprunt;
  • rencontre des principaux leaders avec le premier ministre Robert Bourassa;
  • signature d’un contrat d’entente de paiement avec le gouvernement provincial;

1973

  • Dépôt du Manifeste de Matane en présence d’élus du  gouvernement fédéral et provincial, de hauts représentants de l’église et de 3000 citoyens.

On dit NON à des décisions toutes faites, on dit OUI à une participation...”

Mgr Gilles Ouellet

Archevêque de Rimouski



Résultats

 

Malgré la fermeture de 11 villages, que les Opérations Dignité n’ont pas réussi à rétablir, les Opérations Dignité ont tout de même obtenu plusieurs gains. En fait, ce mouvement social a permis de créer environ 450 emplois, majoritairement saisonniers. Par la suite, entre 1971 et 1975 inclusivement, l’État a investi huit millions de dollars sur cinq ans, et ce, dans les 60 paroisses que les Opérations Dignité regroupaient. La contribution du mouvement a aussi été très importante sur le plan de l’élaboration d’une nouvelle politique d’aménagement forestier.

 

Si l’on considère les besoins de la population et l’état de l’économie régionale, l’apport des Opérations Dignité a été minime''

Charles Banville


Impacts des Opérations Dignité 


L'État, à l'époque, a, pour ainsi dire, abandonné le plan du B.A.E.Q., visant à fermer les villages non rentables, et de relocaliser les populations qui y habitaient, pour deux principales raisons: 


              - Ce plan ne faisait que résoudre partiellement les problèmes des                   personnes concernées, car elles étaient délocalisées d’un milieu                     à 40 % de chômage pour les amener dans un autre milieu à 20 %; 

 

           - l'approche du B.A.E.Q., sur le plan politique, comportait de très                     grands risques que ne peut se permettre un État démocratique. Les               Opérations Dignité ont suscité un tel appui populaire, politique et                     médiatique que le gouvernement n'a pas eu le choix de se rétracter.    

 

Ainsi, la grande majorité des villages de l'arrière-pays n'ont pas été       balayés de la carte et les populations y demeurent encore.

 

  • Un mouvement social s’est organisé pour trouver des solutions pratiques à des situations concrètes.
  • Les Opérations Dignité ont permis de donner de l'espoir aux régions de l'est du Québec quant à leur survie culturelle et économique.
  • Il demeure un esprit de solidarité et de protection de leur identité.
  • Ils ont la détermination de prendre en main leurs communautés et de participer activement à son développement.

 

Les Opérations Dignité auront joué une part importante dans la façon d'aborder les relations de travail au Québec, soit par le fait que le salaire n’est pas l’unique motivation des travailleurs et que le concept d'associations d'employés et de citoyens avec les entreprises locales est un aspect important dans la gestion des ressources naturelles d'un territoire. 

 


Héritage 

Un mouvement qui a façonné la population de la Gaspésie

et du Bas-Saint-Laurent de plusieurs façons.

 

Héritage forestier

 

 

Lutter contre la fermeture de leur village était une première étape, mais il était pressant de trouver des solutions au manque d’emploi de plus en plus préoccupant dans l’est du Québec. Tel que proposé dans le plan du B.A.E.Q., les citoyens ont misé sur l’exploitation forestière et agricole. C’est ainsi que monsieur Louis-Jean Lussier, dans une entente connexe entre le FRUL et le Ministère des terres et forêts, dirigea un mémoire sur la mise en valeur des ressources forestières du Bas-St-Laurent et de la Gaspésie.

 

 

Cette étude s’est concrétisée par la mise en place de Sociétés forestières communément appelées groupement forestier.

 

« Le groupement forestier est fondamentalement une association de propriétaires qui mettent leurs propriétés forestières en commun. En retour, ils reçoivent des actions d’une valeur équivalente à leur apport dans le groupement. » - Fernand Côté

 

L’objectif premier était l’autonomie des régions forestières, mais pour y arriver, il fallait constituer des unités de gestion assez importantes pour motiver des investissements massifs. Des formations techniques étaient nécessaires et il fallait prévoir l’agrandissement et la construction d’usines de transformation sylvicole dans la région. En 1971, de grands projets de travaux sylvicoles ont été mis en place, créant entre 400 et 500 nouveaux emplois. Évidemment, ce mode de gestion ne s’est pas fait sans opposition. Les compagnies forestières privées déjà en place, se sont opposées

à l’établissement de ces fermes forestières.

 

Héritage culturel

 

Ce mouvement identitaire a permis de déclencher une prise de conscience populaire et régionale. Les luttes liées à la fermeture de villages ont permis aux citoyens d’agir et de ne pas seulement regarder sans pouvoir y apporter un changement. Les Opérations Dignité ont donc permis aux citoyens de se voir comme des sujets de ce changement, plutôt que comme des objets. Résultat : il a été possible de voir, à travers toutes ces années, une grande solidarité entre les citoyens afin de permettre ce changement. Cette solidarité fait de ces communautés des milieux de vie où l’identité et le sentiment d’appartenance sont beaucoup plus marqués qu’auparavant.

 

Ce que le mouvement a permis

 

- Une modernisation des secteurs de base traditionnels de l’économie régionale a été réalisée (par le processus de consolidation des terres agricoles);

- Le réseau routier a été amélioré (notamment la route 232 entre Cabano et Rimouski);

- Des circuits touristiques ont été aménagés;

- Des parcs industriels ont été créés;

- La naissance d’un phénomène qui est de l’ordre des valeurs et de la culture;

- La naissance d’une conscience régionale élargie à l’ensemble du territoire de l’Est-du-Québec.

 

Et aujourd'hui?

Un grand mouvement: Touche pas à mes régions

 

Malgré que les Opérations Dignité n'existent plus aujourd'hui, une coalition, Touche pas à mes régions, propose les mêmes buts, soit de s'unir (citoyens, élus représentants des régions, municipalités et organisations) pour:

 

  • "Dénoncer l’absence de dialogue du gouvernement du Québec avec des acteurs incontournables qui contribuent à assurer la vitalité et le développement de l’ensemble des régions du Québec;
  • Déplorer l’absence de vision du gouvernement du Québec en matière de développement régional;
  • S’opposer au mouvement de centralisation sans précédent amorcé par le gouvernement du Québec,
  • Collaborer à trouver des solutions qui permettront d’atteindre l’équilibre budgétaire tout en s’assurant que les régions du Québec poursuivent leur développement social, culturel et économique,
  • Veiller à ce que les régions du Québec demeurent autonomes et maîtres de leur développement. » 

Source: Site internet, coalition Touche pas à mes régions, repéré à: http://touchepasamesregions.ca/

 

Et plusieurs sous-mouvements régionaux:

Abitibi Témiscamingue
Bas-St-Laurent
Chaudière-Appalaches
Gaspésie-Les Îles

Lanaudière

Mauricie

Outaouais

 

Pour plus de renseignements: http://touchepasamesregions.ca/


À regarder... 

https://www.onf.ca/film/chez_nous_c_est_chez_nous

http://ici.radio-canada.ca/emissions/tout_le_monde_en_parlait/2012/Reportage.asp?idDoc=223986


Références

 

Sans auteur, (2013, 28 septembre). Opérations Dignité, Wikipédia l'encyclopédie libre.                  Repéré à : http://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9rations_Dignit%C3%A9. Consulté le            15 avril 2015.

  

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