Le mouvement : son histoire


Une brève histoire du Mouvement coopératif et de l’Économie sociale

 

L’Économie sociale trouve ses origines théoriques au XVIe siècle en Europe alors que déjà certains contestent le capitalisme et l’économie politique libérale. Adam Smith révolutionne l’économie en traitant de la loi de la concurrence, du droit de propriété et la main invisible du marché. Thomas More apporte sa critique avec l’ouvrage L’Utopie dans lequel une société vivant sur une île serait sous un régime de propriété collective. On voit déjà au XVIIIe siècle un partage des propriétés foncières, des coopératives de consommation, des institutions de secours mutuel et un crédit bancaire pour travailleur. Le champ de l’utopie se mit en pratique au XIXe siècle notamment avec les communautés modèles créées par Saint-Simon, Fourier, Owen et Proudhon qui finiront par échouer. On mise alors sur le modèle communiste, socialiste et syndicaliste où s’impliquent notamment des leaders catholiques conservateurs. Au Québec, la tradition sociale sera catholique (D'Amours, 2006).

 

Les premières entreprises seront les sociétés d’entraide et les mutuelles d’assurances en cas de maladie, d’infirmité ou de frais funéraires. La première date de 1789, mais le mouvement fait surface vers 1850. Les gens s’y associent d’abord dans l’acte social et non dans l’acte marchand. La paie en fonction du risque vient plus tard. C’est au XXe siècle qu’elles sont reconnues.

 

Les premières traces du mouvement de l’économie sociale sur le territoire de Chaudière-Appalaches remontent à la fin du XIXe siècle avec la mise en place de mutuelles de travailleurs visant à se prémunir contre d’éventuels coups durs (perte d’emploi, accident, etc.). Ces mutuelles étaient devenues nécessaires pour assurer la sécurité de la famille puisque les hommes de l’époque étaient les seuls soutiens financiers de la famille. Ces mutuelles se sont transformées et sont aujourd’hui des compagnies d’assurance reconnues (Promutuel Assurance Chaudière-Appalaches, 2016).

 

La Société canadienne d’économie sociale de Montréal est créée en 1888 et Alphonse Desjardins en fait partie. Sa première coopérative d’épargne et de crédit ouvre à Lévis en 1900. La coopérative compensait alors les manquements de la logique marchande concurrentielle et pour le manque d’influence des entrepreneurs francophones. Les marchands qui voient leur crédit refusé s’allient à Desjardins qui devient une alternative aux prêts des grandes banques anglophones qui ne soutenaient pas les propositions francophones ou encore acceptaient, mais à des taux d’intérêt beaucoup trop élevés. Desjardins souhaitait trouver une solution pour aider ses pairs, et contribuer ainsi au développement du territoire. Cette institution n’a aujourd’hui plus besoin de présentation et est reconnue internationalement (Mouvement des Caisses Desjardins, 2016).

 

En 1905, le YMCA offre des activités de formation. Les petits producteurs agricoles créent des coopératives d’approvisionnement et des coopératives commercialisant leurs produits afin de se protéger du marché.

 

Entre 1929 et 1933, la crise économique sévit sur le territoire comme partout ailleurs. Les emplois sont rares, la nourriture aussi. Le territoire est vaste, l’agriculture prend de l’expansion et des liens de solidarité se créent afin de répondre aux besoins de la population puisque le gouvernement et son «secours direct» ne suffisent pas à la tâche. Les valeurs de solidarité et dentraide font alors un bond en avant (Grand Québec.com, 2015). La mise en place de bon nombre de coopératives agricoles remonte d’ailleurs à cette époque. Le mouvement coopératif prend son envol dans les années 30 et atteint même le secteur hydroélectrique dans les années 40 (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

Au tournant de la Deuxième Guerre mondiale, on forme des coopératives d’agriculteurs et de pêcheurs, des coopératives forestières, scolaires, funéraires et d’habitation. On met en place un État providence et de nombreuses politiques sociales viennent changer le contexte social. Une crise frappe les pêcheurs dans les années 50 et le secteur étudiant connait une hausse de popularité dans les années qui suivent (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b). 

 

Vers les années 60, les cliniques médicales influenceront la création des CLSC et les cliniques juridiques sont fondées par des étudiants de droit. On développe des services de garde sans but lucratif qui permettront à beaucoup de femmes d’accéder à l’emploi. Il y a création de comités citoyens et des Opérations Dignité. La Coopérative de développement du JAL luttera contre la fermeture des villages de Saint-Juste, Auclair et Lejeune et contre le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ). Les comptoirs alimentaires, les centres communautaires, les Associations coopératives d’économie familiale (ACEF) apparaitront aux alentours de la même période où le fordisme est critiqué (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

On souligne vers les années 80 l’apport des maisons d’hébergement, des centres de femmes, de l’éducation populaire, des OBNL du secteur culturel, des entreprises du tourisme et des loisirs. On amène le Fonds de Solidarité FTQ et les médias communautaires. On critique le taylorisme et le providentialisme et des services alternatifs sont créés (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

À l’aube des années 90 et de l’État néolibéral, on voit arriver les maisons de jeunes, les ressources en santé mentale, en toxicomanie, en itinérance, les OBNL d’habitation, les cuisines collectives, des initiatives en soutien aux personnes âgées et handicapées, les CDC, SADC, organismes d’employabilité (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

Vers la fin du siècle, le gouvernement provincial reconnait enfin l’Économie sociale, le milieu communautaire et leur apport dans le développement régional et local. On commence ainsi à en faire la promotion et du financement est accordé (D'Amours, 2006; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

 

On note un changement dans les pratiques de la Caisse Desjardins comme elle fait plus de place au capital externe, mais elle reste un modèle par ces caractéristiques : tenue d’un principe d’un vote par membre qui relève d’un fonctionnement démocratique et la transformation des actifs en patrimoine de la société québécoise. On assiste aussi à un changement entre 1900 et 1990 dans les activités de l’État et des organismes dans l’économie, dans les règles et valeurs qui s’appliquent aux entreprises (D'Amours, 2006).

 

Le mouvement des femmes s’accroit dans les années 70 et 80 grâce à la pensée féministe pour atteindre son pic en 1995 lors de la marche des femmes Du pain et des roses où on commence alors à utiliser l’expression d’économie sociale en avant-scène. Les femmes y revendiquaient la mise en place d’infrastructures sociales. Le gouvernement de Lucien Bouchard qui souhaitait ramener le déficit zéro a bien entendu les femmes et a mis en place le Sommet sur l’économie et l’emploi en 1996. Le gouvernement répond aussi d’un Comité d’orientation et de concertation sur l’économie sociale et de comités régionaux. Le Sommet accueille les groupes communautaires. Lors de cet événement, le groupe de travail sur l’économie sociale a déposé le rapport «Osons la solidarité!» (Chantier de l’économie et de lemploi, 1996) dans lequel l’économie sociale est avancée comme une solution aux problématiques de chômage et à la création demploi ainsi qu’à la réponse aux besoins du milieu, en plus de constituer un levier économique prometteur. C’est la première reconnaissance officielle pour l’économie sociale au Québec. Suite à ce sommet, le Chantier de l’économie sociale est mis en place (Chantier de l’économie sociale, 2009). Il reçoit du financement pour suivre les recommandations des deux années suivantes et pour l’élaboration de 25 projets. La Loi sur l’aide au développement des coopératives de 1997 permettra une garantie de prêt d’Investissement Québec remplaçant la SDI en 1998 (D'Amours, 2006; Bernier, 2017; Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

Durant cette période (milieu des années 90) en Chaudière-Appalaches, un besoin de réseautage est identifié par les entreprises d’économie sociale et les coopératives. Certaines mettent l’épaule à la roue pour créer le premier rendez-vous de l’économie sociale en 1998 (Bernier, 2017). Les participants sont enthousiasmés par cette initiative et décident d’en faire des rendez-vous annuels, puis une table de concertation qui se réunit quelquefois par année, puis de se donner des outils de formation. Finalement, au fil des ans, la TRESCA est mise en place au travers ces rencontres plutôt informelles. Mais en 2006, la TRESCA est officiellement incorporée et reçoit le titre de pôle régional de l’économie sociale du Chantier de l’économie sociale (Bernier, 2017).

 

Le territoire de Chaudière-Appalaches s’est largement peuplé entre 1900 et aujourd’hui. Le développement économique de la région repose maintenant largement sur l’économie sociale et les coopératives. Le siège social du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) qui chapeaute le mouvement coopératif à l’échelle de la province de Québec a d’ailleurs établi son siège social ici, à Lévis, c’est significatif (Tanguay, 2012). Le dernier portrait des entreprises d’économie sociale date de 2015, on y apprend qu’il y a 473 entreprises d’économie sociale qui génèrent 11000 emplois et 806 millions de dollars en revenus annuels (TRÉSCA, 2017). Parmi ces entreprises, certaines sont de tailles importantes, notamment Unicoop (1995), Exceldor (1945) et la société VIA (1977) et évidemment Desjardins. Ce phénomène n’est pas unique à la région Chaudière-Appalaches même s’il est particulièrement développé chez nous. C’est un mouvement international.

 

 

Aujourd’hui, 3300 coopératives regroupent 8,8 millions de membres et 92 000 employés au Québec et Desjardins y est l’un des cinq plus grands employeurs privés (Chantier de l'économie sociale, 2009b).

 

Ci-dessus : images libres de droit

Source : Chantier de l'économie sociale; TRÉSCA;